TWENTYSIX GASOLINE STATIONS de Michalis Pichler est, comme le dénote son titre, une appropriation du livre bien connu qui porte le même nom d'Edward Ruscha. Appropriation devenue, dans la mouvance du livre de Ruscha, un genre à part entière, le livre de Ruscha passant pour avoir été à l'origine de l'émergence à la fois de deux genres artistiques nouveaux :
- le livre d'artiste, bien que celui-ci se définisse par opposition au livre d'art et quelque insatisfaisante qu'en apparaisse la dénomination, mais, quoi qu'il en soit, genre artistique davantage qu'art autonome ou que, selon le canon moderniste désormais remis en cause, médium (le médium en demeurant, selon Ruscha[1], la photographie, encore qu'il s'agisse, là également, de « photo d'artiste », non de « photo de photographe », même lorsque c'est Ruscha qui prend les photos, ce qui n'est du reste pas toujours le cas), médium qui ne saurait de toute façon jamais être qu' « impur »… genre qui n'entre pour autant en adéquation avec aucun style défini, avec aucune esthétique définie
- et, avec un retard d'une trentaine d'années au « démarrage », l'appropriation, elle-même caractérisée par Pichler[2] en tant que genre
(le vingtième siècle, loin, comme on le dit souvent, de la disparition de tous les genres artistiques — disparition, tout au plus, de certains d'entre eux et, surtout, de la hérarchie des genres— ayant vu l'apparition de plusieurs genres nouveaux, à commencer par le ready-made —quelle qu'ait pu être à l'origine la réticence de Marcel Duchamp qui en limita toujours drastiquement le nombre, à faire du ready-made un genre de plus— et le monochrome, suivis donc, entre autres, du livre d'artiste et de l'appropriation)
… du moins, pour ce qui est tant du livre d'artiste que de l'appropriation, en tant que genres constitués et reconnus —sinon toujours légitimés— comme tels, de nombreuses appropriations et de nombreux « livres d'artiste » ayant de fait, comme il en est toujours, précédé leur « devenir-genre » sans s'en voir attribuer le nom.
Telle, selon Pichler dans Six Hands and a Cheese Sandwich
(livre dont la publication, en 2011, accompagnait l'exposition des livres d'artistes s'appropriant les livres d'artiste de Ruscha tout en, parfois, s'appropriant les uns les autres,
- du moins de ceux publiés avant la date de l'exposition puisque le processus ne s'est pas arrêté pour autant comme en témoigne notamment, depuis, la publication, en 2013, sous la direction de Jeff Brouws, Wendy Burton et Hermann Zschiegner, de l'ouvrage collectif Various Small Books dont le titre s'approprie lui-même celui du livre de Ruscha intitulé VARIOUS SMALL FIRES,
follow-ed (after hokusai), organisée par Pichler en collaboration avec Tom Sowden à la Galerie P74 à Ljubljana, et dont le titre, pour le moins, est lui-même une appropriation de celui du livre, lui-même comme de juste répertorié dans le livre de Pichler, successivement attribué à Ruscha en personne et à Joel Fisher mais dont le véritable auteur demeure mystérieusement inconnu, ce qui, en l'occurrence, s'avère très bien comme cela, selon Yann Sérandour[3] davantage« parodie » qu' « authentique appropriation » d'un livre de Ruscha)
… la célébrissime « série » d'estampes sur bois d'Hokusai (bien qu'une série ne constitue pas à proprement parler un livre et que la sérialité, si répandue ait-elle été au Japon comme en Occident, n'ait même jamais donné naissance à un genre) Trente-six vues du Mont Fuji. Série que s'était déjà appropriée à deux reprises Hiroshige, une première fois dans l'orientation paysage, une deuxième dans l'orientation portrait, et que se serait donc appropriée à son tour et à sa manière Ruscha. D'où l'inscription en caractères japonais anciens du titre au dos de la couverture de TWENTYSIX GASOLINE STATIONS de Pichler. Quatrième de couverture qui, dans l'ordre de lecture japonais, constitue la première de couverture, reportant l'origine de Ruscha à Hokusai, tout comme, dans l'ordre de lecture japonais, Six Hands and a Cheese Sandwich de Pichler débute par Hokusai.
Dans TWENTYSIX GASOLINE STATIONS Pichler s'approprie non seulement la « manière » des photos qui constituent l'ouvrage de Ruscha avec leurs plans larges et leur quasi-totale absence d'êtres humains, laissant, comme Ruscha, plus encore que Ruscha, une large plage vide au premier plan de chaque photo avec pour effet de maintenir le lecteur à distance. Mais il s'en approprie également le titre, le format, la maquette, la typo, tous de la main même de l'artiste dans un livre d'artiste… Voire s'approprie la pratique appropriationniste elle-même à laquelle s'était déjà livré Ruscha en personne en ne cessant, en quelque sorte, de se réapproprier (outre, à suivre Pichler, Hokusai) ses propres livres d'un livre à un autre, conçus que sont ceux-ci pour le principal selon un même « modèle » qui va être aussi celui des livres de Pichler, participant ainsi délibérément, à l'encontre de Duchamp pour ce qui avait été du ready-made —peut-être précisément en prenant en compte le précédent du ready-made— au devenir-genre du livre d'artiste (voire du livre-d'artiste-de-Ruscha sinon de l'appropriation-des-livres-d'artiste-de-Ruscha). En plus de quoi, dans différents dessins et peintures, dès 1962, l'année même de publication de TWENTYSIX GASOLINE STATIONS, Ruscha s'était lui-même réapproprié la photo extraite de cet ouvrage légendée « Standard, Amarillo, Texas » en en resserrant le cadrage et en en intensifiant la perspective au point de faire épouser à la ligne de fuite supérieure de la station inversée gauche droite la diagonale du support, détermination toute picturale, en termes baziniens transformation du cadrage en « cadre » dénotant le changement de médium de la photographie pour la peinture. Transformations que ne s'autorise cependant pas pour sa part Pichler se réappropriant lui-même, dans Six Hands and a Cheese Sandwich, sa propre version de TWENTYSIX GASOLINE STATIONS ouverte, comme celle de Ruscha, à une certaine page, seule la page laissée blanche lui faisant face étant déformée par la perspective. Mais où les mains tenant les livres ouverts comme la présence du sandwich qui fait tache,
- bien que trouvant place sur la même page que CRACKERS, Babycakes et Fourteen Chocolate Bars qui n'est pas une boîte de chocolats mais un « authentique » livre d'artiste de Jonathan Lewis,
peuvent être tenues pour des formes d'appropriation des livres par leurs lecteurs
- comme c'était déjà le fait de l'autre appropriation, « clandestine » celle-là, d'un format, quant à elle, légèrement supérieur à celui de l'ororiginal, à laquelle s'est livré Pichler de TWENTYSIX GASOLINE STATIONS, où il s'est contenté de rephotographier, par doubles pages successives, le livre de Ruscha, un peu à la façon des repros amateurs pratiquées dans les livres où apparaissent les doigts du photographe (voire des vidéos pirates de films mainstream captées sur les écrans des salles de cinéma et revendues sous le manteau),
formes d'appropriation du type de celles prises en compte par Ruscha en personne dans le texte de celui-ci intitulé « The Information Man[4] ».
Appropriations, en l'occurrence, non tant relatives à leur interprétation que physiques,
- la lecture d'un livre sinon d'un texte comportant elle-même, tout comme le livre à la différence du texte, un apect physique, tactile, manipulatoire, un livre étant davantage fait pour être manipulé, pour « servir », que pour être exposé, alors que l'exposition, en en entravant la manipulation, à l'encontre de sa fonction habituelle qui est d'activer ou d' « implémenter » (au sens de Nelson Goodman[5]) les ?uvres, tend à désactiver le livre ou à le convertir tout au plus en une sorte de ready-made.
Ces appropriations fussent-elles de l'ordre de ce que Duchamp appelait les ready-mades réciproques —se servir de l'un de ses livres comme essuie-mains, comme presse-papier, comme tapette contre les souris, comme cale pour caler un meuble…—, voire de l'ordre d'un non-usage (ou, comme dans le « ready-made standard » lui-même, d'une suspension, en un sens quasi-phénoménologique, de l'usage) —exemplaires non lus— ou d'une destruction. Cas de Bruce Nauman lui-même dans burning small fires où Nauman a brûlé tour à tour, dans l'ordre de lecture, comme s'il s'agissait encore d'un mode de lecture, chaque page d'un exemplaire de VARIOUS SMALL FIRES AND MILK, le second livre d'artiste de Ruscha, en signant son acte iconoclaste par une photo dans le champ de laquelle figure sa main en train de tenir ouvert le livre de Ruscha afin de pouvoir mettre le feu à la page ainsi déployée, geste que, dans Six Hands and a Cheese Sandwich, se réapproprie Pichler en faisant figurer, sur la même page que celle où figurent les couvertures des livres de Ruscha et de Nauman, la photo d'une main tenant ouvert le livre de Ruscha… Appropriation que s'est elle-même réappropriée Jonathan Monk dans son « film d'artiste » SMALL FIRES BURNING (After Ed Ruscha After Bruce Nauman After), observant ironiquement que, entre-temps, le prix de la « matière première » (ce qui, déjà, tend à faire de VARIOUS SMALL FIRES AND MILK un ready-made réciproque) s'est considérablement accru à l'encontre de l' « intention première » de Ruscha qui était de faire des livres peu chers, « blue collar » (à l'instar du titre de sa peinture Blue Collar Tool & Die) et, en conséquence, susceptibles d'être maniés sans trop de soin (à l'instar des architectures peintes ou photographiées elles-mêmes)…
- à l'instar des appropriations auxquelles ont pu se livrer les habitants de la cité Frugès-Le Corbusier à Pessac eux-mêmes en vue de rendre l'architecture moderniste, la « machine à habiter », habitable —tout comme les livres eux-mêmes sont susceptibles d'être « habités », et pas seulement par les fantômes que leur lecture évoque, d'être rendus habitables (envois, ex-dono, ex-libris, pages cornées, passages surlignés, notes marginales, inserts divers…)— au lieu que, comme le préconisait de la façon autoritaire qui était la sienne Le Corbusier, les habitants finissent, de guerre lasse, par « s'habituer » à l'architecture. Mais là donc où Ruscha s'avère beaucoup plus ouvert que Le Corbusier, sinon ouvert au sens d'Umberto Eco[6] (on est là davantage dans l'indétermination cagienne que dans l'ouverture précautionneuse —qui ne cessera par la suite de se fermer toujours davantage— mise en avant par Eco), encore que, comme l'a relevé Philippe Boudon[7], l'architecture de Pessac se soit en définitive elle-même révélée plus « ouverte », plus « permissive » que le propos qui était celui de Le Corbusier… Appropriations que se sont elles-mêmes appropriées les artistes invités par Yves Aupetitallot, dans le cadre des expositions Project Unité 1, 2 et 3 au début des années 90, à aménager à leur idée et à habiter temporairement les appartements inoccupés de l'Unité d'habitation édifiée au début des années 60 par Le Corbusier à Firminy.
Cependant que Ruscha s'est lui-même réapproprié, dans « Five 1965 Girlfriends » (publié en toute désinvolture dans un numéro spécial de Design Quarterly en principe dévolu à l'architecture conceptuelle !), des instantanés pris antérieurement de cinq de ses anciennes girlfriends, dont deux n'avaient même pas été pris par lui, comme tel avait déjà été le projet initial de Ruscha pour VARIOUS SMALL FIRES, Ruscha n'ayant cependant pas trouvé suffisamment de photos ready-made s'inscrivant dans le thème retenu.
Mais encore le lecteur observe-t-il bien vite que la version de TWENTYSIX GASOLINE STATIONS de Pichler qu'il tient entre ses mains et qu'il peut feuilleter ne comporte, contrairement à celle de Ruscha (et à la version « clandestine » qu'en a faite Pichler), les photos que de seize et non pas vingt-six stations-service, tout comme Six Hands and a Cheese Sandwich de Pichler ne comporte les photos que de cinq mains au lieu de six. Où l'on n'en peut pas moins voir une appropriation tant des Trente-six vues du Mont Fuji d'Hokusai qui, déjà, comportait quarante-six vues au lieu de trente-six, que de la désinvolture (mélangée de rigueur) qui est souvent la « marque » de Ruscha comme tel est le cas dans THIRTYFOUR PARKING LOTS qui ne comporte lui-même les photos (spécialement prises selon ses indications un dimanche matin, alors que les parkings étaient vides, par un photographe professionnel spécialiste en photographie aérienne dont il s'est, là également même si c'est en un sens quelque peu différent, approprié le travail) que de vingt-huit parcs de stationnement au lieu de trente-quatre. Tout comme la désinvolture du titre de Six Hands and a Cheese Sandwich (tant celui de Pichler que celui dont l'auteur demeure inconnu) apparaît comme une appropriation de la désinvolture —désinvolture comme toujours non exclusive de rigueur— qui est celle également de Ruscha lui-même dans VARIOUS SMALL FIRES AND MILK (VARIOUS SMALL FIRES sur la couverture, VARIOUS SMALL FIRES AND MILK sur la page de titre intérieure). Désinvolture que s'est également appropriée Pichler dans Some Fallen Umbrellas and Something Else (en référence à SOME LOS ANGELES APARTMENTS) alors qu'elle s'évanouit dans l'appropriation qu'a fait Scott McCarney de VARIOUS SMALL FIRES AND MILK sous le titre de VARIOUS FIRES AND MLK (initiales de Martin Luther King), photos d'archives non plus de « petits feux » mais d'émeutes raciales, de « grands événements » à caractère donné comme historique, suivies de la photo de Martin Luther King… Pichler se bornant pour sa part à terminer sa propre version de TWENTYSIX GASOLINE STATIONS par « quelques mots » (« some words in a line instead of some missing stations »), en fait exactement dix mots (dix étant le nombre de stations manquantes dans le livre de Pichler) qui se décrivent eux-mêmes un peu à la façon du titre du fameux poème de Gertrude Stein Five Words in a Line et qui viennent servir de légende à une photo prise en extérieur sur une aire, vide comme il se doit, montrant au premier plan une main tenant une feuille de papier sur laquelle sont écrits là également dix mots, « the eccentric stations were the first ones I threw out », appropriation d'un extrait d'une interview de Ruscha de 1969[8], Ruscha ayant en fait lui-même pris non pas moins mais plus que vingt-six photos de stations-service et disant avoir délibérément éliminé non, comme le font habituellement les photographes, les photos les moins originales, mais, au contraire, les plus originales, les plus esthétiques. Ruscha s'étant toujours refusé à faire tant de la photographie d'art que des livres d'art et ayant cherché à la fois à photographier des architectures les plus banales possible, sans qualités, et à les photographier de la façon la plus banale, la plus ordinaire, la plus neutre (si difficile d'accès n'en soit pas moins lui-même ce qui reste un idéal, lequel n'en a pas moins été obstinément poursuivi par un grand nombre d'écrivains et d'artistes du demi-siècle écoulé)… la moins esthétique possible, à la façon d'un amateur (encore que l'amateur puisse lui-même s'encombrer de toutes sortes de préoccupations esthétiques), en évitant de les débanaliser ou de les monumentaliser, que ce soit en photo ou in situ (type de questions que l'on a pu se poser à propos des photos de Bernd et Hilla Becher), en ne cherchant à réenchanter ni l'art ni la réalité. En pleine adéquation malgré tout, telle qu'elle était revendiquée par les traités classiques, du « style » non tant au sujet de l'énonciation qu'au sujet traité, au subject matter.
… Encore Pichler n'a-t-il pas cherché pour autant à s'approprier dans TWENTYSIX GASOLINE STATIONS le faire de Ruscha, pas davantage qu'il n'a cherché, contrairement à Ruscha, à faire quelque chose du « genre », alors lui-même en formation, d'un road movie,
- bien qu'en l'absence, chez Ruscha lui-même, de l'habituelle métaphysique des espaces vides associée au genre et que, dans le livre de Ruscha, quel que soit le caractère cinématique qui, selon lui, était le fait de « Standard, Amarillo, Texas », seule « Enco, Tucumcari, New Mexico » semble être une photographie véhiculaire prise à partir d'une voiture en mouvement (photographie véhiculaire et road movie lui-même pratiqués par Pichler non dans TWENTYSIX GASOLINE STATIONS mais dans SECHSUNDZWANZIG AUTOBAHN FLAGGEN —l'autoroute ne permettant pas de s'arrêter pour prendre des photos— mais qui n'est pour sa part que très « faiblement » —au sens de Gianni Vattimo— l'appropriation d'un livre de Ruscha, en quoi également il fait exception)
… Ruscha qui avait suivi d'Ouest en Est un grand tronçon de la mythique Route 66 popularisée par The Grapes of Wrath et la série télé qui porte son nom, et, ultérieurement, Easy Rider, désormais menacée par le développement du réseau autoroutier… entre Los Angeles où résidait Ruscha et Oklahoma City où il avait passé son adolescence et qu'il avait fuie pour Los Angeles mais où résidait toujours sa mère qu'il retournait régulièrement voir en voiture en empruntant la Route 66 en voie donc, désormais, de désertification. Les photos dans le livre de Ruscha suivant pour le principal l'ordre de la route, le trajet du lecteur dans le livre reproduisant celui de l'automobiliste, et chaque photo de station-service étant accompagnée, selon la tradition de la photo documentaire (la photo documentaire relevant en fait davantage du photo-texte que de la seule photo), d'une légende mentionnant la firme et le lieu,
- encore que Ruscha[9] ait pu dire que son intention première n'était de faire ni un document ni un documentaire ni une ?uvre d'art mais un reportage, un « vrai reportage », pas ce qui apparaît plutôt comme une parodie de reportage du type de A Tour of The Monuments of Passaic de Robert Smithson avec sa volonté de monumentalisation ironique des bas-fonds de la société industrielle, quelle que puisse être la proximité entre les deux projets.
Et la dernière photo, celle d'une station FINA au Texas par où était déjà passé précédemment le livre avant d'arriver à Oklaoma City, renvoyant à la fois, contradictoirement, à la FIN du livre et du trajet et à l'amorce d'un voyage retour (encore que ce fût l'aller qui avait constitué le véritable voyage-retour), voire d'un sens de lecture inversé, à la japonaise.
Tandis que, de la part de Pichler, aucun re-enactment ; appropriation mais pas re-enactment, à la différence de Lewis qui, dans sa propre version de TWENTYSIX GASOLINE STATIONS sous la forme d'un flip book (le flip-book poussant en quelque sorte au paroxysme l'action de feuilleter un livre), s'il ne s'approprie pas les photos de Ruscha mais seulement leurs localisations (ou, du moins, leurs localisations passées) sur la carte, n'en retrouve pas moins un certain caractère de road movie, en accentuant même l'aspect movie.
Pas davantage que la pratique de Pichler ne relève de la rephotographie dans la lignée du Rephotographic Survey Project initié en 1977 par Mark Klett, consistant à refaire les photographies de paysages américains de Timothy O'Sullivan et autres,
- photographies prises, là déjà, en dehors de toute préoccupation esthétique ou artistique dans le cadre des surveys militaires et géologiques du dix-neuvième siècle, quelles que n'en puissent pas moins être malgré tout leurs propriétés esthétiques et quelles que n'en aient pas moins pu être les tentatives visant à les réinscrire dans le monde de l'art
… exactement du même point de vue, avec le même cadrage, et dans les mêmes conditions de lumière, de façon à pouvoir constater les modifications intervenues dans les paysages… Ou dans la mouvance de l'Observatoire photographique du paysage créé en 1991 par le ministère français de l'environnement dans la foulée de la Mission de la DATAR (Délégation à l'Aménagement du Territoire et à l'Attractivité Régionale) dans le but de refaire régulièrement en observant un protocole très strict les mêmes photos en vue, là également, d'observer les transformations en cours dans les territoires et paysages.
Ce qu'au contraire, sans lui-même se livrer à proprement parler à la rephotographie, n'en avait pas moins déjà cherché pour sa part le photographe californien Jeffrey Brouws dans TWENTYSIX ABANDONED GASOLINE STATIONS, premier livre photo en date à s'approprier celui de Ruscha,
- tout en partageant l'intérêt d'un John Brinckerhoff Jackson[10] pour le paysage vernaculaire engendré par ceux qui y vivent, par ceux qui, dit Jackson, l' « habitent », qui le « font », ou du moins l'aménagent, en l'absence des visées esthétiques qui sont habituellement celles des théoriciens du paysage (quelles que n'en puissent pas moins être, là encore, leurs propriétés esthétiques, voire leurs propres visées esthétiques)
… Livre au format et à la maquette eux-mêmes identiques à ceux du livre de Ruscha, avec des photos en noir et blanc faites à la « manière » de Ruscha, ou, du moins, dans la même absence apparente de manière ou de style. Absence de style, « degré zéro » du style, rejet du style et de l'esthétique qui n'en tend pas moins cependant à se transformer en style, tout comme l'absence de style historiquement revendiquée en architecture par un Walter Gropius s'était elle-même rapidement muée, en pénétrant l'Amérique, en style international… Mais photos dont les localisations géographiques diffèrent de celles de Ruscha. Où Brouws faisait le constat que, depuis la publication du livre de Ruscha, avec la hausse du prix des terrains et le renforcement des contraintes environnementales, les propriétaires de stations-services indépendantes, déjà en difficulté à l'époque où Ruscha avait pris ses photos, s'étaient avérés incapables de supporter le coût du remplacement des réservoirs souterrains d'essence pour les mettre aux normes et avaient dû fermer boutique au bénéfice des multinationales du pétrole en attendant que les stations aux enseignes de celles-ci se trouvent elles-mêmes menacées par la concurrence des grandes surfaces.
Observation redoublée depuis, dans MORE GASOLINE STATIONS, par le Français Nicolas Studievic qui, après avoir entrepris en 1998 à la suite de Ruscha un road movie qui l'a conduit d'une côte à l'autre du continent nord-américain à la recherche d'anciennes stations-services abandonnées qu'il a photographiées à sa façon, sans chercher nécessairement ni à photographier les mêmes stations que Ruscha ni à le faire à la « manière » de Ruscha… constate, lorsqu'il les publie en 2012 avec une maquette qui n'en est pas moins calquée, là encore, sur celle du livre de Ruscha, que la plupart des stations photographiées ont désormais déjà elles-mêmes entièrement disparu, conférant à ses photos, comme dans les propres photos d'Eugène Atget ou des Becher, au risque de les monumentaliser, ce qu'Aloïs Riegl[11] a appelé une valeur de remémoration (sinon de commémoration). Voire, selon Studievic, un caractère d'intemporalité similaire à celui qui était déjà le fait des photos de Ruscha ou, du moins, qu'ont pris, depuis, en vieillisant, les photos de Ruscha.
Tandis qu'un autre photographe français, Éric Tabuchi, se réappropriant le titre, qui était celui de Brouws, de TWENTYSIX ABANDONED GASOLINE STATIONS, arpentant inlassablement au volant de sa voiture les routes nationales non des États-Unis mais du Nord de la France, elles-mêmes désormais délaissées par la majorité des automobilistes au profit des autoroutes, a donc photographié vingt-six stations-service abandonnées, là encore de ce fait vides de toute présence humaine, qu'il a croisées au cours de ses pérégrinations. Stations qu'il a photographiées, même si, là également, ce n'est pas exactement à la « manière » de Ruscha, sur un mode non tant documentaire que fictionnel comme si elles appartenaient au grand ouest américain avec ses grands espaces vides et ses villes fantômes,
- un peu à la manière dont le film de Lothar Baumgarten de 1973-77, The Origin of the Night, Amazon Cosmos, inspiré par le mythe Tupi sur l'alternance du jour et de la nuit, s'ouvrait sur un paysage luxuriant de forêt tropicale passant successivement de la nuit au jour et du jour à la nuit pour se révéler par la suite, déjouant l'horizon d'attente au sens de Hans Robert Jauss[12] du spectateur, avoir été filmé en forêt rhénane, à proximité du domicile de l'artiste, en utilisant des déchets toxiques trouvés sur place.
… Ou comme si ces stations appartenaient à une « civilisation post-apocalyptique » du type, présume Walead Beshty[13], que préfigure dès aujourd'hui, en dépit de sa prospérité, le centre de Los Angeles lui-même, vidé que se trouve celui-ci le week-end de sa population qui retourne dans ses lotissements pavillonnaires périphériques, en faisant le décor idéal pour un film entrant dans le genre SF,
- Beshty faisant état du « façadisme » qui, au dire de Ruscha lui-même[14], est la marque de Los Angeles, laquelle lui apparaît comme une enfilade de devantures sans rien derrière, tout comme, en quelque sorte, dans la caricature que dresse Hergé dans Les Aventures de Tintin reporter du « Petit Vingtième » au Pays des Soviets, des villes soviétiques… Ce qui, selon Beshty, en ferait l'équivalent architectural de la photographie, elle-même « pure façade », parfaitement plane, dépourvue de toute épaisseur comme de toute intériorité. Sans cependant que Beshty, quelles que soient les convergences de certaines de leurs analyses, fasse sienne la critique formulée à l'encontre de Ruscha, à la suite d'Edward Lucie-Smith[15], par Mike Davis[16] reprochant à Ruscha, « via some brief subversions in the 1960s », d'avoir viré à « a willed neutrality ».
Caractère post-apocalyptique qui, observe Beshty, était déjà le fait des photos vides de toute présence humaine de THIRTYFOUR PARKING LOTS
… À la suite de quoi, dans un second livre, TWENTYSIX RECYCLED GASOLINE STATIONS, Tabuchi a photographié vingt-six stations-service désaffectées (distinctes de celles qu'il avait précédemment photographiées) et désormais réaffectées à des commerces divers. Recyclage qui apparaît lui-même une forme de réappropriation.
… Tandis que, dans THIRTYSIX FIRE STATIONS, Sérandour s'est livré à une sorte de cross-over comme on dit dans le langage des bandes dessinées et des sériesTV en mixant TWENTYSIX GASOLINE STATIONS et VARIOUS SMALL FIRES, son projet consistant à photographier toutes les casernes de pompiers de Montréal en activité le 19 décembre 2001. Ce avec la plus grande rigueur : photos frontales, en noir et blanc, et dûment légendées selon les réquisits, que ne respectaient que partiellement les photos de Ruscha —à la recherche qu'était plutôt celui-ci d'une absence de style— non tant de la photo documentaire en tant que telle que de ce que,
- à la suite de Walker Evans qui s'intéressait lui-même à l'architecture vernaculaire, sans style propre (comme c'était le fait de Le Corbusier lui-même, du moins pour ce qui est des architectures de stockage du type de celles que photographieront les Becher, qui s'y intéressait pour sa part en tant que symbioses parfaites, selon lui, entre forme et fonction), mais qui ne les respectait souvent lui-même qu'imparfaitement
… Olivier Lugon[17] a appelé, en l'absence de toute fonction documentaire des photographies (pas plus que, contrairement à Le Corbusier, Ruscha ne s'intéressait pour sa propre part à la fonction des bâtiments photographiés), le « style documentaire » : transformation, là encore, de l'absence de style en style, alors pourtant que la frontalité apparaît beaucoup moins informative et donc documentaire que la vue de trois-quarts.
Ce pourquoi, donc, Sérandour avait obtenu à l'avance des services municipaux une liste de trente-six adresses. Mais, lorsqu'il prit les photos à la date fixée, il dut constater que le compte n'y était pas, une caserne étant fermée pour rénovation, une autre ayant changé d'adresse et une troisième étant en ruines dans l'attente d'un transfert. Ce qui fait qu'il ne put prendre que trente-trois photos sur les trente-six prévues et que son livre, intitulé THIRTYSIX FIRE STATIONS, ne comprend de ce fait lui-même que trente-trois photos sans qu'il y ait, dans ce cas, à l'encontre de ce qu'il en est chez Ruscha et chez Pichler, quelque arbitraire ou désinvolture que ce soit, ce qui tend à banaliser ce qui tend encore à apparaître, chez Ruscha comme chez Pichler, comme non banal, comme incongru… des pages laissées blanches à la seule exception des adresses marquant l'emplacement des casernes et photos manquantes. Photos qu'il n'en eut pas moins la possibilité de faire par la suite (en couleur cette fois), le 17 décembre 2005, et qu'il édita alors sous forme de trois cartes postales couleurs constituant un additif au livre.
En même temps que mutations en cours non seulement des sites photographiés mais de la photographie elle-même, passée au numérique, elle-même mise en crise (en même temps que promise à un dévelopement sans précédent) par le passage au numérique, où elle a perdu de l'autonomie, si relative fût-elle, qui était la sienne pour se mélanger de plus en plus, outre à l'imprimante, au téléphone portable, à l'ordinateur, à l'Internet… En même temps également que le passage au numérique a donné une portée nouvelle aux pratiques appropriationnistes et est venu, en particulier, favoriser l'appropriation des livres tout en mettant le livre lui-même en crise. Comme le dit André Gunthert[18], « In the context of the globalized economy of attention, appropriability appears not only as the fundamental characteristic of digital content, it is also recognizes as the new paradigm of post-industrial culture ». C'est ainsi que Zschiegner, pour son appropriation de THIRTYFOUR PARKING LOTS qu'il a intitulée THIRTYFOUR PARKING LOTS ON GOOGLE EARTH, ne s'est rendu ni à Los Angeles ni ailleurs et n'a ni fait ni fait faire de nouvelles photos mais s'est contenté de rechercher dans Google Earth des photos actuelles,
- du moins en 2006, date à laquelle il a réalisé son livre, les photos ayant été depuis remplacées dans Google Earth par des photos plus récentes et continuant à l'être,
et, de ce fait, en couleurs, des lieux sélectionnés et dûment répertoriés en légende par Ruscha en les recadrant au plus près des cadrages choisis par Ruscha (en plus de quoi, pour la couverture, il s'est contenté de s'approprier une photo de la couverture du livre de Ruscha disponible dans Google Images).
Tout comme Joachim Schmid, pour produire son appropriation de la compilation de quelques-uns des livres de Ruscha regroupés en un seul volume, Twentysix Gasoline Stations, Every Building on the Sunset Strip, Thirtyfour Parking Lots, Nine Swimming Pools, A Few Palm Trees, No Small Fires, n'a lui-même entrepris de voyager ni aux États-Unis ni où que ce soit ailleurs mais n'a pas quitté son atelier de Berlin et n'a même pas utilisé d'appareil photo mais s'est contenté de recourir à des photos amateurs trouvées,
- non pas dans la rue comme il avait pu le faire pour ses travaux antérieurs pour lesquels il s'appropriait les photos et négatifs jetés ou perdus qu'il collectait au cours de ses pérégrinations mais, le numérique provoquant à la fois une surproduction de photos amateurs à ne plus savoir qu'en faire et une raréfaction tant de l'attention qu'on y prête —laquelle, selon la « nouvelle économie de l'attention », serait en passe de devenir, face à l'inflation de l'offre visuelle, la nouvelle ressource rare— que des tirages et impressions-papier de photos amateurs, en particulier de ceux abandonnés dans l'espace public
… trouvées sur Google, sur des sites de partage d'images et autres. Là où, cependant, Pichler, dans new york garbage flag profile, n'en pointe pas moins l'abondance toujours en augmentation de motifs iconiques — à commencer, à New York, par celui du drapeau américain (qui a lui-même fait l'objet de tant d'appropriations), tant par patriotisme que par rejet du patriotisme— sur les emballages et autres détritus abandonnés après usage (comme après une catastrophe du type 11 septembre) dans l'espace public que, pour se les approprier, il ne s'est pas contenté de collecter mais qu'il a lui-même photographiés non pas une fois prélevés, ex situ, mais in situ, avant prélèvement, comme il a photographié lesdits sites après prélèvement (dialectique site nonsite, sight nonsight comme chez Smithson) tout en relevant avec la plus grande minutie le lieu, la date, l'heure, la nature de l'objet trouvé, le nombre d'étoiles y figurant, celui de bandes rouges et celui de bandes blanches et les textes y étant inscrits.
… Tandis que Pichler, pour sa propre version de TWENTYSIX GASOLINE STATIONS, en l'absence de toute idée de road movie ou de rephotographie, en l'absence même de tout itinéraire concerté, s'est borné à photographier les stations-service de la multinationale Total réparties sur tout le territoire non pas des USA mais de l'ex RDA, ce qui fait que les légendes du livre de Pichler, contrairement à celles du livre de Ruscha, ne comportent pas le nom de la marque qui est toujours la même. Mais où, davantage qu'un jeu de mots à la Ruscha sur la notion (contestable) d'art total (à ne pas confondre avec celle d'art générique), Pichler a surtout cherché à transposer le livre de Ruscha non seulement dans une autre région du monde mais dans le monde actuel en proie à la globalisation, Total ayant absorbé Elf Aquitaine, au départ entreprise publique française, privatisée en 1994, qui avait précédemment racheté toutes les stations-service appartenant à Minol, l'ancienne société nationale pétrolière de RDA, lors de la privatisation de celle-ci suite à la disparition de la RDA. Stations qu'elle fit toutes relooker selon un même modèle (toujours en place) par un bureau d'architecture basé à Hanovre, réduisant l'identité propre de chaque station au maximum tout en renforçant l'identité —du moins l'identité régionale— de la marque. Ce que, dans ses photos, Pichler a cherché à manifester au maximum, voire à renforcer encore (tout en renforçant l'impression d'unité architecturale qui se dégageait dèjà des stations-services photographiées par Ruscha, caractérisées par leurs importants auvents, comme elle se dégageait également des maisons hollandaises typiques photographiées par Ruscha dans Dutch Details, quelque différent que fût le dispositif photographique employé). Comme Fredric Jameson[19] en a fait le constat, « tendential identification of the commodity with its image (or brand name or logo) ».
En quoi, bien qu'ici « ?uvres » de bureaux d'architecture et non figuratives, les stations acquièrent une identité générique immédiatement reconnaissable, comparable tant à celle des couvertures de la plupart des livres de Ruscha (et donc de Pichler et autres) qu'à celle des « canards » dûment répertoriés sur le Las Vegas Strip alias route 91 qui relie l'aéroport au centre de la ville, par Robert Venturi, Denise Scott Brown et Steven Izenour dans leur manifeste dirigé contre l'architecture moderniste Learning from Las Vegas[20] qui en fait l'archétype même de la rue commerçante et voit de façon volontairement provocante dans l'architecture dépréciée par la profession de Las Vegas, cité communément tenue pour un haut-lieu du fric facile et de la criminalité, une source d'inspiration à même de sauver l'architecture du modernisme. Livre dont la composante iconographique a pu être mise en relation avec Every Building on the Sunset Strip (à Los Angeles) de Ruscha, du moins sur un plan non tant artistique que documentaire. Rapport de Learning from Las Vegas à Ruscha qu'a cherché à cerner l'exposition organisée en 2004 par le Canadian Centre for Architecture à Montréal, Learning from... Ruscha and Venturi Scott Brown, 1962-1977, bien que ce rapport ait pu être contesté par Kenneth Frampton dans une controverse qui l'opposa, dans le cadre de la revue italienne d'architecture Casabella Continuità, à Scott Brown[21]. Selon Frampton Learning from Las Vegas ne procède en fait ni de Ruscha ni du pop art auquel Scott Brown avait antérieurement consacré un article[22] mais d'un mélange oxymorique de populisme et d'élitisme en l'espèce de la camp attitude telle que l'avait caractérisée Susan Sontag[23] avant de se montrer par la suite beaucoup plus sévère encore à son égard[24]. Attitude assimilée par elle à un dandysme des temps modernes, « in the age of mass culture », consistant, de manière demeurant élitiste, à s'approprier par le haut (top-down) tel ou tel élément isolé de la culture non tant populaire que de masse en le débanalisant à sa façon, et à en faire un usage outrancier en renchérissant dans le mauvais goût, en affectant, en toute ironie poussée jusqu'au cynisme, de le survaloriser
- comme pouvaient le faire certains homosexuels eux-mêmes à l'égard de ce qu'ils appelaient la culture straight, même si, dans ce cas, il s'agissait d'appropriation non tant top-down que bottom-up comme dans l'appropriation des colonisateurs par les colonisés, de « ravissement » au sens valorisé par Jacques Soulillou[25] par opposition à « détournement », y compris au sens situationniste.
Là où Scott Brown se félicitait du caractère, selon elle, (plutôt que non esthétique) « nonjudgemental » (tant sur le plan esthétique que sur le plan social) du travail de Ruscha, Learning from Las Vegas, loin d'écarter tout préjugé, s'avère, profère Frampton, grevé de jugements de valeur (tant esthétiques que sociaux).
.… Selon Jameson[26] lui-même, « rhétorique populiste » qui, dans le cas de Learning from Las Vegas, n'en présente pas moins « the merit of drawing our attention to one fundamental feature of all the postmodernisms », « fascinated precisely by this whole “degraded” landscape of schlock and kitsch », : « namely, the effacement in them of the older (essentially high-modernist) frontier between high culture and so-called mass or commercial culture ». Effacement (tant bottom-up que top-down) à l'égard duquel Jameson se montre pour sa part très critique, alors pourtant que c'était déjà Theodor Adorno, le principal théoricien moderniste de la première moitié du vingtième siècle, qui entendait remettre en cause l'opposition entre « haute » et « basse » culture, même si c'était, avec l'élitisme qui était le sien, pour les rejeter l'une comme l'autre, pour rejeter « la » culture sous toutes ses formes au nom de l'art.
… Ce qui n'en traduit pas moins de la part de Pichler la volonté de s'adapter —la volonté, d' « adapter » le livre de Ruscha— aux évolutions en cours. La volonté d' « actualiser » le livre de Ruscha. D'où, aussi, son propre emploi de la couleur au lieu du noir et blanc, la couleur étant devenue la norme en photographie, et, sans doute pour permettre l'impression en couleur, l'emploi d'un papier différent de celui de Ruscha.
… Une appropriation n'est ni une copie ni un faux mais un cas particulier d'exemplification au sens de Goodman[27] qui, en tant que tel, comme toute exemplification, n'exemplifie pas toutes les « propriétés » de l' « original », à commencer par l'intention dont est présumé procéder celui-ci ; une appropriation ne s'approprie pas pour autant l'intention supposée à l' « origine » de l' « original ». Dans l'appropriation il ne s'agit nullement, comme pour Pierre Ménard, le héros de la nouvelle de Jorge Luis Borges[28], de chercher à se mettre dans la peau de l'auteur. Comme l'a stipulé Sérandour[29], les appropriations de seconde, voire de troisième main, des livres de Ruscha répondent à des intentions clairement différentes de celles de Ruscha, se bornant à « faire usage d’une forme ou d’un système préexistant pour présenter un projet artistique indépendant » bien que Ruscha puisse déjà pratiquer lui-même l'appropriation et que, surtout, comme l'a spécifié Pichler[30] lui-même : « Maybe the belief that an appropriation is always a conscious strategic decision made by an author is just as naive as believing in an “original” author in the first place », aucune ?uvre n'étant de toute façon entièrement déterminée par l'intention dont elle procède mais étant toujours à même de s'en écarter.
Mais l'appropriation n'est pas seulement exemplification. Elle est jeu de ressemblances et de différences. L'appropriation s'avère toujours plus ou moins « mal faite » en reprenant là la catégorie ajoutée par Robert Filliou dans son principe d'équivalence aux habituelles (comme chez Lawrence Weiner) catégories de [bien] fait et de mal fait : une appropriation, pour être « bien faite », doit être « mal faite », doit être « imparfaite », sans quoi il n'y a pas appropriation ; une appropriation « trop bien faite » est équivalente à une appropriation « mal faite », voire à une appropriation « non faite ».
Loin d'être pure et simple répétition, l'appropriation réintroduit la variation et implique un jeu d' « attentes » et de « déceptions » du type de celui théorisé par Jauss.
- Là où Norman Bryson[31] fait l'hypothèse que ce qu'il appelle le « conceptual turn » de la photographie qu'incarnent selon lui paradigmatiquement les Becher
- (dans ce que John Roberts[32] appelle pour sa part le « photoconceptualisme » par opposition au « conceptualisme analytique » davantage langagier, tributaire pour sa part du « linguistic turn » de l'art, encore que, selon Bryson, le véritable médium n'en serait pas tant la photographie que l'attention du spectateur elle-même, l'attention non tant en tant que ressource comme pour l'économie de l'attention mais en tant que médium)
- … a en fait consisté à donner à voir non plus une image unique (ni, bien évidemment, un concept) mais une série d'images requérant du spectateur un redoublement d'attention ou, plus exactement, ce qu'il appelle une « attention négative »
- (distincte tant de l'habituelle contemplation que de ce que Walter Benjamin[33], pour ce qui est tant de la photo et du cinéma que de l'architecture pour qui l'habite —par opposition ici non tant à l'architecte qu'au touriste qui entre simplement visiter un monument—, appelle la perception distraite qu'il identifie tant à la perception-habitude qu'il entend revaloriser qu'à la perception non plus tant visuelle que tactile),
- sensible, quoi qu'il en soit, non tant à la présence habituellement valorisée par l'esthétique (présence manquant, du fait de sa reproductibilité, à la photographie et, plus encore, à la photographie imprimée) qu'à la différence entre les images d'une même série (dans le cas de TWENTYSIX GASOLINE STATIONS différences à la fois entre les stations photographiques photographiées et entre les photographies elles-mêmes), à ce qu'il appelle leur « contre-présence »
… les appropriations de livres d'artiste font redoubler le lecteur d'attention négative en l'incitant à prêter attention aux ressemblances et différences non seulement entre les images d'un même livre qu'il perçoit en feuilletant le livre avec ses mains
- (y compris, souvent, chez Ruscha, les photos « insolites », insolites tout en n'étant pas moins banales, « hors série », telles les erreurs commises volontairement dans ses barres de bois rond par André Cadere et que tentent d'identifier les spectateurs qui s'en trouvent informés)
ou entre les livres d'une même « série » de livres comme dans le cas des livres de Ruscha, mais entre appropriation et livre approprié, bien que le lecteur n'ait habituellement pas un exemplaire de celui-ci sous la main, ce tant sur le plan des images que sur celui du livre en tant que tel (toute appropriation supposant une certaine connaissance, de la part du spectateur, de ce qui en fait l'objet)… ainsi —comme ici-même— qu'entre les différentes appropriations d'un même livre qui entraînent elles-mêmes attentes et déceptions.
En conformité avec la pensée de Gilles Deleuze[34], l'appropriation s'avère répétition, si répétition il y a, non tant du Même que de l'Autre, répétition de la différence. Loin que l'appropriation s'oppose à l'originalité, il y a, avance Pichler[35] « as much unpredictable originality in quoting, imitating, transposing, and echoing, as there is in inventing ». L'appropriation apparaît comme une contrainte et l'art d'appropriation comme un art à contrainte (d'où le projet des Sonnets, Twentysix Gasoline Sonnets inclus), où la contrainte peut s'avérer elle-même source d'invention, fût-ce dans sa transgression. Inventivité dans l'appropriation qui est celle des amateurs eux-mêmes dans le fanclubbing, dans la fan attitude, Pichler[36] fait lui-même état du karaoké. L' appropriation pouvant avoir tant caractère d'hommage que caractère critique, caractère à la fois d'hommage et de critique, le préfixe « after » entretenant la même ambivalence que le préfixe « post »
… À commencer par la critique de l'originalité elle-même —du moins de l'originalité recherchée pour elle-même, comme fin en soi, comme valeur-refuge— telle qu'elle a pu être menée, dans le cadre du mouvement de critique de la modernité, par le postmodernisme lui-même. Du moins le « postmodernisme critique », celui de la revue October et de la Picture Generation, pratiquant lui-même l'appropriation qu'Hal Foster[37], avant de se rallier à la critique jamesonienne de tous les postmodernismes[38], a longtemps cherché à opposer aux pastiches historicisants du « postmodernisme néo-conservateur » trans-avant-gardiste, dénués pour leur part de tout caractère critique, et dont, selon lui, le populisme affiché n'en masquait pas moins là encore un recours élitiste à des références codées, là où les appropriations du « postmodernisme critique », tout en faisant prévaloir l'aspect citique, n'étaient pas pour autant elles-mêmes dénuées de tout caractère d'hommage. Même si, comme l'a très vite relevé Benjamin Buchloh[39], l'appropriation propre au postmodernisme critique n'a pas tardé à se muer, en même temps qu'en genre, en catégorie esthétique, celle de parodie, laquelle, selon Gérard Genette[40], peut, tout comme le pastiche, se trouver détachée de tout caractère critique, alors que le postmodernisme critique, se réclamant du poststructuralisme, entendait « initialement » reprendre à son compte la critique de l'origine par Jacques Derrida[41] pour qui c'est en fait la répétition qui est à l'origine. L'itération, disant lui-même Derrida[42], altérant toujours ce qu'elle paraît reproduire, le travaillant pour lui faire dire autre chose, pour produire quelque chose de nouveau (même si la déconstruction n'en tend pas moins elle-même à déconstruire, sinon à effacer, l'opposition entre « haute » et « basse » culture).
Mais ce pourquoi il convient de ne pas fétichiser Ruscha, de ne pas faire de Ruscha lui-même, et en particulier de TWENTYSIX GASOLINE STATIONS, habituellement tenu pour le premier livre d'artiste, une origine absolue, d'où le renvoi de Pichler à Hokusai et à Trente-six vues du Mont Fuji sans pour autant en faire davantage une origine absolue, le choix d'une origine sur l'axe des temps s'avérant de fait arbitraire. Sans pour autant non plus faire descendre d'Hokusai une lignée unique mais en en faisant dériver des canaux divergents pouvant mener aussi bien à Ruscha qu'à l'album de trente-six lithographies d'Henri Rivière (dont quatre d'après photo) lui-même intitulé Les Trente-six vues de la tour Eiffel.
… Critique, dans la mouvance de Roland Barthes[43] et de Michel Foucault[44], de la notion même d'auteur, de l' « autorité » de l'auteur, même si le terme de livre d'artiste renvoie encore malencontreusement à son auteur et a donné naissance à une pléthore de pseudo-genres (flip-book d'artiste, film d'artiste, T-shirt d'artiste, disque d'artiste, timbre d'artiste, badge d'artiste, tampon d'artiste, tatouage d'artiste, préservatif d'artiste etc. etc.), tous fâcheusement caractérisés (à l'encontre de la notion de ready-made) par le fait qu'ils auraient été faits par un artiste… Critique qui, loin de se trouver aujourd'hui « dépassée », entre au contraire de plus en plus en phase avec la crise de la propriété intellectuelle et artistique engendrée par le développement conjoint du numérique et de l'économie dite de l'immatériel, laquelle, comme le dit Yann Moulier Boutang[45], « disqualifie les modèles reposant sur la perception d'une recette [demeurant] liée à la vente d'un produit matériel ».
Comme le précise Pichler dans un texte en fait lui-même constitué, pour une très large part, de citations[46] (comme tel aurait été selon Adorno le projet initial de Benjamin pour Passages): « It appears to me, that the signature of the author, be it an artist, cineast or poet, seems to be the beginning of the system of lies, that all poets, all artists try to establish, to defend themselves ». Si, à la question d'ordre ontologique « qu'est-ce qu'une appropriation ? », à laquelle Pichler[47] dit lui-même qu'il est impossible de répondre, en tout cas de façon univoque, la notion d'appropriation étant pour le moins un concept ouvert au sens de Morris Weitz[48]… l'on substitue la question à la formulation goodmanienne « quand y a-t-il appropriation ? », la réponse, selon Pichler, tendrait à être non tant ici que cela dépend du contexte mais qu'il y a toujours plus ou moins appropriation. Comme dit Deleuze[49], « Qui parle et qui agit ? C'est toujours une multiplicité, même dans la personne qui parle ou qui agit ». Comme le souligne Mikhaïl Bakhtine, l’auteur est en fait toujours collectif ; tout ouvrage s’avère tissé —que ce soit sous une forme qui demeure compositionnelle ou sous une forme qui s'apparente à un collage ou à un montage— de citations, d'appropriations d’autres ouvrages
- (la citation, elle, à la différence de l'appropriation, se révélant parfaitement définissable en tant, comme l'a indiqué Louis Marin[50], que produit d'une double opération, une opération de découpe, de fragmentation, suivie d'une opération de collage ou de montage);
tout ouvrage, quel qu’en soit le signataire en titre, est issu de la collaboration, du croisement, entre différents auteurs (sans que ceux-ci n'aient jamais eu nécessairement la moindre intention en la matière). Julia Kristeva[51] a parlé là d'intertextualité. Terme auquel Genette[52] préfère celui d'hypertextualité, bien que définissant celle-ci de façon par trop restrictive par le rapport entre un « hypertexte » et un « hypotexte » et ne faisant pas place à l'appropriation en tant que telle. En plus de quoi il conviendrait de ne pas en rester à la notion poststructuraliste de texte mais de prendre en considération les rapports entre livres et pas seulement entre textes.
… Hommage et critique, ici, comme il se doit, à l'égard de Ruscha lui-même. Critique, de la part de Pichler, de ce qui peut apparaître, de la part de Ruscha, comme une insuffisance de rigueur, comme une rigueur insuffisamment poussée. Alors que Pichler, sans se départir pour autant de toute désinvolture à la Ruscha, entend pousser la rigueur « plus loin » de par l'uniformité de la maquette et des cadrages (sinon des conditions de luminosité), ce qui n'en incite pas moins le spectateur à être attentif aux différences résiduelles à l'intérieur même du livre. Et Pichler d'observer, davantage que Ruscha, davantage même qu'Evans, les canons du style documentaire, à commencer par la frontalité (là où un Frank Eye, dans TWENTY-FOUR FORMER FILLING STATIONS, s'il ne respecte pas la maquette de TWENTYSIX GASOLINE STATIONS, en rajoute, lui, sur le plan documentaire strictement parlant, précisant, pour chacune des quarante-six photos de stations-service désaffectées qui constituent son livre, la date et l'heure de la prise de vue à la façon de Pichler lui-même dans new york garbage flag profile).
Où l'on peut voir une « radicalisation » de l'entreprise de Ruscha (là où Ruscha[53] tenait lui-même ses livres d'artiste pour la partie la plus radicale de son ?uvre), tout comme Learning from Las Vegas se donnait pour une radicalisation d'Architecture Without Architects, l'exposition organisée au MoMA en 1964 par Bernard Rudofsky
- qui, si, à l'opposé des histoires orthodoxes de l'architecture, elle portait bien sur l'architecture vernaculaire, soutenant elle-même qu'il y avait beaucoup à apprendre des bâtiments construits sans le concours d'architectes, ne prenait toutefois en compte que l'architecture vernaculaire reculée dans le temps ou dans l'espace,
cependant que Colin Ward[54] avait encore cherché à radicaliser Learning from Las Vegas en allant jusqu'à faire l'apologie du squat.Mais sans que la radicalisation de Ruscha à laquelle procède Pichler n'aille pour autant, comme l'architecture radicale italienne (Archizoom, Superstudio…) pour ce qui est de l'architecture moderniste elle-même, jusqu'à pousser à l'absurde à force de surenchère (de suraffirmation au sens de Jean Baudrillard) le propos qui était celui de Ruscha, l'aspect hommage (sans excès) l'emportant ici sur l'aspect critique.
[1] Edward RUSCHA, « An Interview », Afterimage, february 1981.
[2] Michalis PICHLER, Appropriation, New York, Printed Matter, 2009.
[3] Yann SÉRANDOUR, « Serial Readers, Fortune et infortunes des livres d’Edward Ruscha », Nouvelle revue d'esthétique n° 2, Livres d'artistes L'Esprit de réseau, Paris, PUF, 2008.
[4] Edward RUSCHA, « The Information Man », Los Angeles Institute of Contemporary Art Journal no 6, juin-juillet 1975.
[5] Nelson GOODMAN, Of Mind and Other Matters, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1984.
[6] Umberto ECO, Opera aperta, Milan, Bompiani, 1962, te. The Open Work, Harvard, University Press, 1962.
[7] Philippe BOUDON, Pessac de Le Corbusier, Paris, Dubod, 1969, tr. Lived-In Architecture: Le Corbusier's Pessac Revisited, Cambridge, Mass., MIT Press 1972.
[8] Douglas M. DAVID, « Wide, Wide World Of Book: From Common Scenes, Mr. Ruscha Evokes Art », The National Observer, 28 July1969.
[9] Ed RUSCHA in David BOURDON, « Ruscha as Publisher (or All Booked Up », ARTnews Vol. 71 nr 2, april 1972 : « I had a vision that I was being a great reporter when I did the gas stations ».
[10] John Brinckerhoff JACKSON, Discovering the Vernacular Landscape, New Haven Yale University Press, 1984.
[11] Aloïs RIEGL, Der moderne Denkmalkultus, sein Wesen, seine Entstehung, Vienne, 1903. tr. « The Modern Cult of Monuments, Its Character and Origin », Oppositions 25, 1982.
[12] Hans Robert JAUSS, Literaturgeschichte als Provokation der Literaturwissenschaft, Francfort, Suhrkamp, 1970, tr. Toward an Aesthetic of Reception, Minneapolis, University of Minnesota Press, 1982.
[13] Walead BESHTY, « City Without Qualities: Photography, Cinema, and the Post-Apocalyptic Ruin », Influence, issue 1, October 2003.
[14] Edward RUSCHA, « L.A. Suggested by the Art of Ed Ruscha », Leave Any Information at the Signal, Cambridge, Mass., MIT Press, 2002.
[15] Edward LUCIE-SMITH, American Art Now, Oxford, Phaidon, 1985.
[16] Mike DAVIS, City of Quartz, Excavating the Future in Los Angeles, Londres, Verso, 1990.
[17] Olivier LUGON, Le Style documentaire. D'August Sander à Walker Evans, 1920-1945, Paris, Macula, 2001.
[18] André GUNTHERT, « L’?uvre d’art à l’ère de son appropriabilité numérique », Les Carnets du BAL n° 2, octobre 2011, tr. « The Work of Art in the Age of Digital Sound Appropriability », Workshop Icons, 2011.
[19] Fredric JAMESON, Postmodernism, or, the Cultural Logic of Late Capitalism. Durham, Duke University Press, 1991.
[20] Robert VENTURI, Denise SCOTT BROWN & Steven IZENOUR, Learning from Las Vegas, Symbolism of Architectural Form, Cambridge, Mass., M.I.T. Press, 1971.
[21] Kenneth FRAMPTON, « America 1960-1970 : Notes on Urban Images and Theory » & Denise SCOTT BROWN, « Reply to Frampton », Casabella Continuità, vol. 35 nr359-360, décembre 1971.
[22] Denise SCOTT BROWN, « On Pop Art, Permissiveness, and Planning », Journal of the American Institute of Planners, n° 35, mai 1969.
[23] Susan SONTAG, « Notes on Camp », Partisan Review, automne 1964.
[24] Cf. Susan SONTAG, « Fascinating Fascism », 1975, Under the Sign of Saturn, New York, Farrar, Straus & Giroux, 1980.
[25] Jacques SOULILLOU, « Esthétiques du ravissement », PRÉSENCE PANCHOUNETTE, ?uvres choisies, tome 2, Labège-Innopole, Centre régional d’art contemporain Midi-Pyrénées / Calais, Musée des beaux-arts, 1987.
[26] Fredrich JAMESON, op. cit.
[27] Nelson GOODMAN, Languages of Art, An Approach to a Theory of Symbols, Oxford, University Press, 1968.
[28] Jorge Luis BORGES, « Pierre Menard, Autor del Quijote », El Jardín de senderos que se bifurcan, 1941, tr. « Pierre Menard, Author of the Quixote », Ficciones, 1962.
[29] Yann SÉRANDOUR, « Serial Readers… », op. cit.
[30] Michalis PICHLER, « Statements on Appropriation », Amsterdam, 2009.
[31] Norman BRYSON, « From Form to Flux », Sharon LOCKHART, Chicago, Museum of Contemporary Art, 2001.
[32] John ROBERTS, « Photography, Iconophobia and the Ruins of Conceptual Art », John ROBERTS, ed. The Impossible Document : Photography and Conceptual Art in Britain 1966-1976, Londres, Camerawork, 1997.
[33] Walter BENJAMIN, « Das Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen Reproduzierbarkeit », première version, 1935, Gesammelte Schriften Band I, Frankfurt am Main, Suhrkamp, 1980, tr. « The Work of Art in the Age of Mechanical Reproduction », tr. Selected Writings, Vol. 3, 1935-1938, Cambridge: Harvard University Press, 2002.
[34] Gilles DELEUZE, Différence et répétition, Paris, PUF, 1968, tr. Difference and Repetition, New York, Columbia University Press, 1994.
[35] Michalis PICHLER, « Statements on Appropriation », op. cit.
[36] Michalis PICHLER, ibid.
[37] Hal FOSTER, Recodings : Art, Spectacle, Cultural Politics, Port-Townsend, Bay Press, 1985.
[38] Hal FOSTER, The Return of the Real, The Avant-Garde at the End of the Century, Cambridge, Mass., MIT Press, 1996.
[39] Benjamin BUCHLOH, « Parody and Appropriation in Francis Picabia, Pop, and Sigmar Polke », Artforum, vol.XX n°7, mars 1982.
[40] Gérard GENETTE, Palimpsestes, La Littérature au second degré, Paris, Seuil, 1982, tr. fr. Palimpsests, Literature in the Second Degree. Lincoln, University of Nebraska, 1997.
[41] Jacques DERRIDA, De la grammatologie, Paris, Minuit, 1967, tr. Of Grammatology, Baltimore, John Hopkins University, 1976.
[42] Jacques DERRIDA, Limited Inc. abc, Baltimore, John Hopkins Press, 1977.
[43] Roland BARTHES, « La Mort de l'auteur », 1968, ?uvres complètes, tome II, 1966-1973, Paris, Seuil, 1994.tr. « The Death of the Author », Aspen Magazine no5-6, automne-hiver 1967.
[44] Michel FOUCAULT, « Qu’est ce qu’un auteur ? », 1969, Dits et écrits 1954-1988, tome 1, 1954-1969, Paris, Gallimard, 1994. tr. « What is an Author? », Language, Counter-Memory, Practice, New York, Cornell University Press, 1977.
[45] Yann MOULIER-BOUTANG, « Droits de propriété intellectuelle, terra nullius et capitalisme cognitif », Multitudes n° 41, printemps 2010.
[46] Michalis PICHLER, « Statements on Appropriation », ibid.
[47] Michalis PICHLER, Appropriation, op. cit.
[48] Morris WEITZ, « The Role of Theory in Aesthetics », Journal of Aesthetics and Art Criticism XV, 1956.
[49] Gilles. DELEUZE, «Les Intellectuels et le pouvoir», entretien avec Michel Foucault, L'Arc n° 49, 1972, tr. « Intellectuals and Power », Michel FOUCAULT, Language, Counter-Memory, Practice, New York, Cornell University Press, 1977.
[50] Louis MARIN, « De la citation, Notes à partir de quelques ?uvres de Jasper Johns », Artsudio n° 12, Spécial Jasper Johns, printemps 1989.
[51] Julia KRISTEVA, Semeiotikè. Recherches pour une sémanalyse, Paris, Seuil, 1969.
[52] Gérard GENETTE, op. cit.
[53] Edward RUSCHA, entretien avec Bernard Blisthène, Edward RUSCHA, Paris, Centre Georges Pompidou, 1989.
[54] Colin WARD, Housing, An Anarchist Approach 1976, London, Freedom Press, 1976 & Cotters and Squatters, Housing’s Hidden History, Nottingham, Five Leaves 2002.
Jean-Claude Moineau, "AFTER MICHALIS PICHLER AFTER EDWARD RUSCHA AFTER HOKUSAI," in Sans niveau ni mètre #37. Journal du Cabinet du livre d’artiste, ed. Leszek Brogowski, Aurélie Noury (Rennes: Éditions Incertain Sens, 2015).